14 mars 2007

Les Ethiopiques - 1 En route vers la vallee de l'Omo.

Moyale - extreme sud de l'Ethiopie.

Le sud-ouest du pays est une veritable mosaique de peuples dont la vallee de l'Omo serait comme un ecrin secret, une Terra Incognita pour le Babuvati qui en a entrepris l'exploration.


Carte du sud-ouest ethiopien etablie apres notre exploration.
Les differents peuples sont indiques en rouge.

Ces Terres, dont l'appellation officielle est d'ailleurs "Nations, Nationalites et Peuples du sud", sont parmis les dernieres que les armees imperiales ethiopiennes ont soumises et intergrees au pays. D'ailleurs, soumises et integrees ces populations ne le sont qu'a moitie et s'identifient comme Hamer, Bana, Mursi ou encore Dassanetch plutot que comme Ethiopiens, tout comme les frontieres legales n'ont que peu de signification pour eux.

C'est de Moyale, ville frontiere avec le Kenya et en territoire Oromo que nous organisons cette premiere expedition ethiopienne avec l'aide d'Anwar, jeune etudiant brillant qui s'improvise guide lors de ses vacances. Avec le recul on ne sait pas si il etait vraiment indispensable de s'assurer ses services mais, quoiqu'il en soit, ca a ete un plaisirs de partager une semaine avec lui (Il nous a accompagne tout au long de notre exploration du sud-ouest du pays).
En fait, meme si un guide interprete n'est pas forcement indispensable, cela peut tout de meme etre utile, surtout dans ce coin du pays, car tres tres peu de gens parlent anglais, et meme Anwar avait souvent besoin d'un autre interprete car l'Ahmarique (la langue officielle du pays) lui-meme etant tres peu parle. C'est aussi cette dimension qui fait que l'Ethiopie est un pays hors du temps, c'est la premiere fois depuis le debut de notre voyage que la mondialisation est si peu presente.

Pour nous rendre a Wayto, petite bourgade qui sera pour nous la porte de la vallee de l'Omo, trois jours seront necessaires. D'abord en territoire Borana, que nous traverserons en deux jours pour rejoindre Yabello puis Konso, puis en pays Konso dont la traversee nous prendra une journee.


Le principal moyen de transport : l'Isuzu

Nous quittons Moyale et entrons au pays des couleurs, de la secheresse, des odeurs (qui ne nous quitterons plus jusqu'a Addis) de peaux de chevre, de lait fermente et de beure rance dont les femmes s'enduisent les cheveux. Longues silhouettes, pagnes legers et collores pour les femmes, turban sur la tete pour les hommes, bracelets de cuivre et d'etain au poignet, les Boranas se presentent devant nous.



Pasteur-nomades nourris au lait fermente dans la callebasse, les Boranas etendent leurs activites sur un vaste territoire a cheval entre le Kenya et l'Ethiopie. Membres du peuple Oromo, l'ethnie majoritaire du pays dont les terres occupent la partie centrale du sud du pays, ils se considerent et sont consideres comme la branche la plus pure de ce peuple, tant au point de vue de la langue que de leur mode de vie qu'ils ont garde intact, refusant la sedentarisation et vivant au milieu de leur troupaux de zebus et de dromadaires.
Non content d'appartenir a la lignee Oromo la plus pure, les Boranas sont des gens a l'allure magnifique et Anwar les considerent lui-meme comme les plus beaux ethiopiens (et c'est peu dire).





Les puits boranas

Tout en roulant, musique ethiopienne a plein tube en fond sonore, nous nous enfoncont dans ce pays hors du temps. Devant nous troupeaux de zebus et hordes de dromadaires guides par leur pasteurs se dispersent dans la savane aride semee de termitieres geantes dont la couleur alterne du rouge au blanc en fonction de la nature du sol, tout comme leur forme - grandes et elancees pour les rouges, petites et arrondies, telle des sculptures d'art moderne, pour les blanches.
Lors d'une etape, apres avoir deguste un yahourt maison directement tire de la callebasse, au gout legerement piquant mais d'une fraicheur et d'une onctuosite delicieuse, un petit pasteur vient nous chercher pour nous montrer quelque chose.



Il nous entraine a l'ecart de la route et le XXIeme siecle disparait derriere les cactus. Nous nous retrouvons dans la plaine seche et poussiereuse, parsemee de quelques epineux, et au milieu d'une multitude de zebus menee par de petits vachers sous l'oeil attentif d'hommes altiers au regard et au profil accere qui observe la scene depuis un petit monticule derriere lequel s'eleve une haie d'epineux.




Apres une courte mais intense palabre avec les anciens, nous penetrons l'enclo et en quelques metres il nous semble etre revenus des siecles en arriere, comme si le temps ici s'etait fige. Derriere la haie, un large corridor descend vers une petite carriere creusee dans le sol. Le coridor est encombre de bovins qui tour a tour vont s'abreuver a une large flasque d'eau rectangulaire. Alors que nous nous frayons un passage au milieux des animaux nous commencons a percevoir un chant puissant, scande en rythme par de profondes voix d'homme et sortant des entrailles de la terre.
Les vaches meuglent autour de nous.
En contrebas des femmes remontent des sceaux d'eau jusqu'a l'abreuvoir. Au pied de celui-ci, de hautes marches menent a une premiere piscine en terrasse, deux ou trois metres sous le niveau de l'abreuvoir. Dans la piscine, des femmes a moitiee immergees, remplissent les sceaux ensuite remontes jusqu'a l'abreuvoir.
Et, derriere cette piscine, un trou noir et profond s'enfonce dans la terre. C'est de ce gouffre que le chant immemoriale jaillit, comme venu du fond des ages. Nous nous approchons et un premier homme apparait, perche sur une branche encastree dans la paroie du puit, dernier maillon d'une chaine humaine qui remonte l'eau depuis les profondeurs, 15 metres en contrebas. Ils sont cinq ou six, repartis sur un meme nombre de niveau, se jettant de bas en haut les sceaux remplis du precieux liquide, au rythme du chant et, dans un meme mouvement, faisant redescendre les sceaux vides.
La synchronisation des mouvements et le rythme du chant sont comme hypnotiques. L'equilibre et la force que demande un tel exercice nous laisse beats de stupefaction. Tout se melange : son, odeur, spectacle visuel, nos sens nous entrainent dans un autre univers !


Vue aerienne d'un puit borana

Le spectacle ne dure pas. Rapidement notre presence distrait les forcats qui nous interpellent en riant, nous invitant a les rejoindre, au grand mecontentement du contre-maitre qui nous prie de partir sans trop de menagement.
En realite la scene dans son entier s'est deroulee dans un climat electrique. Les differents hommes semblant etre les chefs s'interpelant vivement quant a notre presence ici. Les uns etant d'accord, les autres non, certains ayant change d'avis entre temps. Le tout bien sur se deroulant en Borana, ajoutant a l'atmosphere irrealiste et tendue une note d'immersion totale dans ce monde, qui nous sera jamais veritablement accessible. Dans tout ce fracas, la presence de Nour' (Anwar) est rassurante, meme si lui-aussi est oblige de se faire traduire toute la scene en Ahmarique.

La photo en Ethiopie

L'Ethiopie est un pays magnifique, peuple de gens magnifiques, bref, un fantastique terrain de jeu pour le photographe amateur. Malheureusement, les Ethiopiens, essentiellement ceux du sud ouest, et encore plus particulierement les Boranas sont completements paranos des qu'ils voient un bout d'objectif... du moins jusqu'a ce qu'on est paye. Chez les Boranas cela concerne leur image, mais aussi celle de leurs territoires et de leurs vaches... des qu'ils voient un appareil, ils demandent des tunes ! D'ou le peu de photos sur les Boranas (qui sont de loins les pires) qui, pour la plupart, ont ete prises par Anwar (car, etrangement si c'est un ethiopien qui a l'appareil en main, c'est comme ci ce dernier etait invisible).

Tout cela entraine evidement une grande frustration, car si Anwar n'est pas mauvais photographe, nous ne sommes pas dans son cerveau et le plaisir de prendre sa propre photo disparait. De la frustration nait la creation, ou du moins une tentative, dont voici un petit appercu.










L'humour ethiopien

A notre retour des puits, encore secoues par la scene, nous reprenons vite pied dans la realite, plein pied meme !
Notre bus, dont les chauffeurs avaient promis de nous attendre, vient de partir et roule tranquilement a quelques centaines de metres de nous... sans nous et... avec nos sacs ! BORDEL !

Anwar essaie de nous rassurer, mais bon, il est gentil mais la le bus est en train de se barrer avec nos affaires ! On se met a courir comme des derates meme si cela ne sert pas a grand chose, agitant les bras en de grands signes deseperes sous les regards goguenards des Boranas. Soudain le bus, alors a environs 400-500 metres, stoppe. Ouf. Au loin on voit un type embarquer et... et oui, le bus redemmarer ! @#&**@%$ !!!!
Et on recourt, et on repanique et le bus roule et roule et roule devant nous.... Anwar nous explique, le souffle court que quoiqu'il arrive la police a la plaque du bus et qu'on les retrouvera... mais bon... on court quand meme, nos bras s'aggitant toujours en grand moulinets desesperes et ridicules !!!

Le bus s'arrette a nouveau et se range sur le bas cote, pour repartir aussitot mais cette fois, oui c'est bien ca, il braque et manoeuvre pour faire demi-tour. OUF !!! en une petite minute le bus est devant nous, les portes s'ouvrent et nous nous appretons a gueuler un coup sur les pauvres chauffeurs desoles de leur bevue... mais a notre grande stupeur, le bus entier, passagers et employes, est ecroule de rire, encore tout heureux du bon tour qu'ils viennent de nous jouer : trop marrants les ethiopiens... nous devant tant de joie et de bonne humeur et, finalement d'innocence, nous decidons de ne pas gacher cette joyeuse ambiance et rions de bon coeur (et de soulagement d'avoir retrouve nos sacs) de ce tour joue a nos depends.

Sur le dos d'un enorme camion de gravier : le pays Konso en 360 degres.



Journal de Bati, 22 fevrier 2007.

Pays Konso, il s'etend autours de la ville du meme nom. Commencant a environs 80 km a l'ouest de Yabello, il s'etire dans les territoires montagneux du nord et de l'ouest du petit centre de commerce.
Ici la moindre parcelle de terrain est cultivee et des centaines de terrasses, consolidees par des murets de pierre, etagent les collines ocres du territoires de ce peuple laborieux.





Seule tribut strictement sedentaire du sud-ouest ethiopiens, les Konsos sont des cultivateurs acharnes. Partout, hommes et femmes travaillent la terre a l'aide d'outils rudimetaires mais efficaces. Leurs cultures sont essentiellement vivrieres. Sorgho, mais, millet, a partir desquelles ils produisent une biere locale, tres brune et tres forte.
Ils vendent aussi ces denrees aux autres peuples mais l'essentiel de leur revenus commerciaux provient de la culture du Khat, qui pousse rapidement et se vend plus que bien.

L'essentiel du travail est effectue par les femmes mais nous voyons aussi beaucoup d'hommes aux champs. Seul le portage semble etre un labeur exclusivement feminin. On peut se demander comment une societe laisse ses femmes pliees en deux, et ce des le plus jeunes ages et jusqu'au dernieres annees, sous des fagots enormes - bois de chauffe, fourage, etc... - sans se poser de questions...




Les Konsos habitent des villages souvent enfouis sous un epais feuillage - ce sont d'ailleurs les seuls espaces boises de la region - et composes de plusieurs concessions abritees derrieres de petites murailles de pierres, souvent elles-memes encastrees d'arbres et autres vegetaux. Chaque concession est composee de plusieurs huttes ou vivent les membres de la famille, d'un ou plusieurs petits poulaillers perches sur pilotis et d'un grenier lui-aussi construit en hauteur.




Du haut de mon camion, ces villages m'apparaissent perches a flanc de colline, leurs toits de chaumes recouverts d'une poterie coiffant le pilier central... etrange decoration. Certaines d'entre-elles sont immenses, j'apprendrais plus tard qu'elles servent de lieu de reunion pour les jeunes.

Autrefois, les Konsos etaient un peuple de guerriers et de grands chasseurs. Nous avons vu leurs totems funeraires au musee d'ethnologie d'Addis (bien apres notre exploration de la vallee de l'Omo) : ils representent les heros entoures de leurs femmes et des ennemis qu'ils ont terrasse (d'ou leur statut de hero) : autres heros, hommes ou animaux. Les heros portent un petit penis dresse sur la tete et les hommes ordinaires ont le meme mais en version classique et reposee.

...
Journal de Vabu, 22 fevrier 2007.

Pays Konso. Les femmes ont un physique tres carre et ont le visage moins fin que les Boranas. De tradition, elles mettent une jupe de coton (qu'ils produisent, transforment et colorent) blanche avec bandes vertes, rouges et jaunes dans la partie inferieure ou de plusieurs couleurs.
Et de traditions, elles vont seins nus becher les champs ou chercher du bois mort. Les missionnaires etant passes par la, elles sont quasiment toutes en t-shirt sauf dans leur cour ou au champ.








Sur le trajet, plein d'enfant, gardiens de troupeau, vendent de petits jouets en bois, de la marionette qui tourne toute seule a l'imitation de kalachnikof ainsi que de l'ensens.




Les Konsos frabriquent de la matiere premiere au produit fini. Toutes leurs instalations sont de pierre, arbre et chaume. Tres ecologiques et esthetiques. On croise des paysans de retour des champs, ils chantent et dansent avec leurs beches. Apparement c'est la coutume, en tout cas ils ont l'air heureux de finir leur journee de labeur.



Ils s'accordent en se retrouvant en famille, une calebasse de mais fermente en biere, au gout acre et peu ragoutant (pour nous), qu'enfants et adultes boivent au milieu de la concession, assis, au coucher du soleil.

...

Apres 6 heures de routes pour 60 kilometres, perches sur notre tas de gravier roulant, nous atteignons enfin Wayto... 3 jours auront ete necessaires pour rejoindre la porte de l'Omo. Circuler dans cette region n'est pas facile, loin de la, mais la aussi reside le charme.

Demain, nous partirons a la decouverte des peuples de cette vallee perdue.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

People should read this.