29 mars 2007

Les Ethiopiques - 6 Petit entretien

Petite entrevue avec X., citoyen ethiopien et employe de l’ONU au departement du developpement agricole. On garde son anonymat, pour des raisons evidentes qui apparaitront au cours du texte. L’Ethiopie est une democratie encore ambigue comme on va l’entendre.

Babuvati : Vous travaillez sur le developpement agricole, quel est votre objectif actuel ?

X : Le probleme de ce pays, au niveau de l’agriculture, est la production personnelle des paysans. Dans une bonne annee, comme celle que nous venons de connaitre, un paysan produit de quoi nourir sa famille pour environs 3 mois. Notre objectif est donc a long terme d’ameliorer la production des paysans et a court terme de fournir des subsistances aux familles les plus fragiles.

Babuvati : Et y’a t’il des avancees ?

X : Difficile de repondre, comme je vous l’ai dit tout ca se joue sur le long terme.

Babuvati : Et sur le long terme, vous avez un espoir ?

X : Honnetement, non. (version originale : No way !)

Le gouvernement, qui essaie toujours de profiter des circonstances sur le court terme, vous dirait que la production est repartie, car, comme je viens de le dire, cette annee a ete exeptionnelle. Mais il ne vous dira jamais que meme lors d’une bonne annee, les paysans sont obliges de vendre leurs biens pour pouvoir survivre.


Babuvati : Mais quels sont les facteurs qui rendent la production si mediocre ?


X : Le probleme de ce pays c’est que 95 % (ce chiffre est peut-etre un poil exagere, mais a peine, note du Babuvati) de sa population depend du secteur agricole. Les terres sont donc en quantite limitee. Generalement un paysan dispose d’un demi-hectare pour la culture. Il produit alors en moyenne, lors d’une bonne annee comme celle-ci, 1 tonne de ble ou autres cereales. Il en tirera a peu pres 2000 birs (200 euros). Sur ces 2000 birs il faut retirer les frais d’habillement et d’ecole pour ses enfants, les charges pour sa maison, les taxes, etc… a la fin il lui reste a peu pres 500 birs (50 euros). Ce qui permet de nourrir une famille de 5 ou 6 pendant 3 mois. Apres il doit commencer a vendre ses bijoux de famille, sa television, sa radio, parfois son betail s'il en a et s'il est d’une culture qui le permet…

Babuvati : A oui, a propos du betail. Nous avons vu quelque part que l’Ethiopie possedait le premier cheptel mondial en nombre de tete de betail. Alors comment cela se fait t’il que cela ne represente pas une solution pour ce qui le possede. ?

X : Je finis juste sur les problemes de l’agriculture, et je reviens sur le betail. En fait, il ne s’agit que d’un petit detail mais revelateur sur la politique agricole de notre pays. Souvent, sur ce qui reste au paysan, celui-ci doit encore acheter des engrais chimiques aupres d’entreprises avec qui le gouvernement a un accord. Cet engrais coute cher, detruit l’environement et pourrait etre remplacee par des fertilisants naturels comme le purain par exemple. Mais, malheureusement, le gouvernement oblige les paysans a achete cet angrais, dans le cadre de sa politique de developpement agricole.

Babuvati : Pourquoi si la solution naturelle est moins chere et plus ecologique ?

X : Des accords entre le gouvernement et les entreprises productrices de ces angrais, vous voyez bien.

Et juste pour finir sur ce probleme, je vous rappelle que 1 tonne de ble, c’est la production d’une bonne annee, si tout va bien. C’est a dire que les pluies arrivent a temps, que les cereales ne sont pas victimes de maladie, etc…

Pour repondre a votre question sur le betail maintenant. Tout d’abord, une correction. L’Ethiopie possede le deuxieme cheptel, et non le premier, d’Afrique et non du monde. Ensuite, deux principaux facteurs expliquent que ces millions de tetes de betail n’apportent pas de meilleurs conditions a leurs proprietaires.

Le premier est culturel. Pour de nombreux peuples d’Ethiopie le betail est avant tout un symbole de richesse et un lien affectif reel existe entre le proprietaire et chaque bete de son troupeau – meme si souvent il n’en connaît pas le nombre exact d’ailleurs. Donc, d’une part, en tant que symbole de richesse le proprietaire ne veut pas se separer de son troupeau, ce qui le ferait descendre dans la hierarchie sociale de son peuple. Pour beaucoup d’entre eux, la fierte est bien plus importante qu’un ventre rempli. D’autre part, le lien affectif existant est tres fort. Meme si vous etiez tres tres pauvre, et que vous deviez vous privez, vous ne vendriez pas vos enfants, pour un Mursi, un Afar ou un Hammer, c’est la meme chose avec leurs vaches.

Le second est tout simplement economique. C’est triste a dire mais nos vaches ne valent pas grand chose. Le prix de deux mille vaches ethiopiennes equivaut peut etre a quarante vaches de votre pays. Une vache ici produit 1 litre de lait par jour. (En France une vache laitiere produit quelque chose comme 100 litres par jour).


Notre homme nous aura aussi parle du probleme de la deforestation. En effet, un des objectifs de leur programme est de faire revenir la pluie ! Devant notre etonnement cette declaration, il nous a explique qu'en region seche, la pluie depend etroitement de la presence de foret (voir le texte sur les montagnes du Bale), que l'Ethiopie est deforeste a 91 % et qu'un programme de reforestation est urgent mais qu'il se heurte au besoin en terre des paysans pour leurs cultures. Il nous a aussi glisse que sous la dictature communiste, la question des forets etait beaucoup mieux geree, sans pour autant cautioner le regime du Derg.
Enfin, vous pouvez vous demander pourquoi nous avons conserve son anonymat, car aucune revolution vraiment fracassante n'apparait dans son interview. En fait, il nous a aussi explique que la solution a ces problemes pourrait venir de l'opposition mais qu'il y avait peu d'espoir, car le gouvernement actuel autorise les partis d'opposition mais maintient tous leurs membres en prison. Etrange conception de la democratie.

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